Comment devient-on directeur d’un syndicat des eaux ?Francis José Maria : A vrai dire, rien ne me prédisposait à travailler dans le domaine de l’eau. Après une formation universitaire d’économiste, j’ai commencé ma carrière comme enseignant dans plusieurs universités : Toulouse, Annaba en Algérie, Québec. Au début des années 1980, j’ai rencontré Patrick Glo qui m’a proposé de travailler sur des dossiers intercommunaux dans le cadre d’une association pour le développement économique et rural du Pays des Maures : la relance des activités économiques dans la forêt des Maures, l’habitat et le logement social, l’aménagement commercial. C’était une période passionnante car tout était à construire et nous avons réussi à créer un observatoire économique, un programme local de l’habitat…C’est en 1985 que Patrick Glo, alors président du SIDECM, m’a proposé de reprendre le vieux projet de barrage de la Verne dont l’histoire vous est racontée dans cet ouvrage.Quel a été votre rôle dans ce dossier ?F.J.M : Mon premier travail a consisté à analyser les facteurs de blocage du dossier : administratifs, financiers, techniques et psychologiques. Et ensuite à essayer de les démêler avec l’appui précieux des personnes compétentes dans chacun des domaines concernés. Michel Gaulier pour l’étude prospective des besoins en eau, André Léonce, de la DDAF et les ingénieurs d’EDF pour les questions administratives et techniques. A partir de là, mon rôle a surtout consisté à démontrer la faisabilité du projet auprès des élus et à essayer de le faire accepter par la population de La Mole. Le dialogue ouvert, sans arrière pensée, voulu par Patrick Glo, m’a beaucoup appris sur sa capacité à dissiper des malentendus et à rapprocher les points de vue. Le référendum qui a suivi en a apporté une belle démonstration. Sans le savoir, je faisais mes premiers pas dans la démarche chemin qui cherche à partir des représentations mentales sur lesquelles chacun de nous construit le réel. Il s’agissait de comprendre les inquiétudes de gens traumatisés par le drame de Malpasset pour en démonter les mécanismes et apporter des réponses adaptées, notamment dans le domaine de la sécurité. De l’économie à la technique des barrages, il y a un grand pas. Expliquez nous comment vous l’avez franchi. F.J.M : Je vous rassure, même aujourd’hui je ne suis pas devenu un spécialiste des barrages. Mais j’ai eu la chance de pouvoir suivre ce grand chantier de 20 mois auprès d’éminents ingénieurs comme Jean-Pierre Giraud, d’EDF et Alain Cassard de la DDAF. Tout en suivant de près les questions administratives et financières, sensibles à l’époque, j’étais dans la position de l’élève qui apprenait chaque jour une nouvelle leçon sur la granulométrie des matériaux, l’indice optimal de compactage de l’argile, le ferraillage des ouvrages en béton… En écoutant votre parcours, on comprend mieux votre attachement aux questions d’éducation que le SIDECM a largement développées depuis. Mais pourquoi s’est-il aussi engagé dans des actions de coopération en Afrique ? F.J.M : Il est vrai que mon court passé d’enseignant a influencé les choix éducatifs du syndicat, surtout après le succès de cette large concertation qui s’était aussi adressée aux écoles. Mais c’est la rencontre heureuse avec René Jam, alors inspecteur de la circonscription, qui a véritablement transformé notre travail d’information en véritable projet d’éducation. Pour ce qui est de la coopération, j’y ai engagé le syndicat en raison de l’expérience que j’ai vécue en 1974 au moment de la grande sécheresse qui a frappé tout le Sahel africain. Je me suis en effet porté volontaire pour conduire des camions jusqu’au Niger et assurer la distribution des aides alimentaires internationales : émerveillement d’une première traversée de l’immense désert saharien, découverte du Sahel africain ravagé par une sécheresse qui décime arbres, animaux et populations. Et au milieu de ce grand dénuement, la rencontre avec des peuplements Touaregs d’une grande dignité ancrée dans la richesse de leur culture. Cette expérience a changé ma vie et ma vision du monde. Et quand au début des années 1990 l’ONG Eau Vive a contacté notre syndicat pour savoir s’il serait intéressé pour participer au financement de projets hydrauliques en zone sahélienne, ma conviction a emporté aussi celle de Patrick GLO et des élus du SIDECM. Nous avons commencé par financer le creusement d’un puits, puis des actions de reboisement et de créations de forages, et nous continuons aujourd’hui à soutenir les projets présentés dans ce journal. Après tant d’années à la côtoyer, quel regard portez-vous sur l’eau ?F.J.M : J’ai surtout appris que l’eau est un sujet extrêmement complexe. Au-delà de la molécule qui nécessite l’expertise des physiciens et chimistes, il faut pour la comprendre des climatologues, des géologues, des hydrauliciens, des biologistes et des spécialistes des nombreuses techniques nécessaires à sa mobilisation, son traitement, son transport… Elle nécessite donc une approche largement pluridisciplinaire que nous mettons en œuvre dans toutes nos activités de gestion et d’éducation. Mais à côté de la technique, l’eau est également un sujet éminemment social et culturel. Il suffit de voir comme elle est omniprésente dans toutes les mythologies et religions du monde. Cela signifie que pour réussir n’importe quel projet d’aménagement hydraulique, il convient d’adopter une approche anthropologique capable de prendre en compte cette dimension culturelle. Les plus belles réalisations techniques ont souvent échoué parce que elles étaient en conflit avec la réalité culturelle des populations concernées. Quels sont les principaux enseignements que vous retirez de votre expérience ?F.J.M : Plus que des enseignements, c’est le sentiment d’avoir eu beaucoup de chance de pouvoir travailler sur le projet de barrage de la Verne et toutes les activités qui en ont découlé. Grâce à l’eau, j’ai rencontré des gens formidables en France, en Afrique et ailleurs, certains sont devenus de vrais amis, et beaucoup sont présents dans ce journal. J’ai beaucoup appris auprès d’eux notamment qu’on est beaucoup plus intelligent à plusieurs que tout seul. Le partenariat éducatif m’a aussi permis de rencontrer des enseignants passionnés par leur métier et des élèves dont les yeux pétillaient de curiosité devant les nombreuses énigmes et découvertes qui jalonnent les sorties de terrain. Je remercie Patrick Glo de m’avoir permis de m’engager dans cette belle aventure et je suis très reconnaissant aux présidents qui lui ont succédé, Jean-Pierre Prouteau et Jacques Sénéquier, de m’avoir maintenu leur confiance tout au long de ces années. Et comme l’eau est un enjeu de solidarité, je tiens à dire combien j’apprécie celle qu’a toujours manifestée l’équipe du personnel du SIDECM avec qui j’ai le plaisir de travailler.