Traité d'éducation - Livre 2 L'eau partagée livre II

Essai de théorisation

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idéale. Le refus de prendre en considération les caractères subjectifs de tout monde possible est indispensable du point de vue méthodologique dans la mesure où il per- met la définition de procédures permettant l’obtention de connaissances inaccessibles autrement, par exemple la mesure quantitative. Mais le développement, d’ailleurs infini de ce savoir idéal, ne se poursuit dans la légitimité que pour autant qu’il reste clairement conscient de son champ de recherche, limites qu’il a lui-même tracées. Il ne peut lui échapper en effet que la mise à l’écart des propriétés sensibles et affectives du monde présuppose la mise à l’ écart de la vie elle-même, c’est à dire de ce qui fait l’humanité de l’homme. C’est là la seconde abstraction à laquelle procède la science au sens que nous donnons aujourd’hui à ce mot : l’abstraction de la Vie, c’est à dire de ce qui seul importe vraiment. Ce qu‘est la vie, la science n’en a aucune idée, elle ne s’en préoccupe nullement, elle n’a aucun rapport avec elle et n’en aura jamais. Car il n’est d’accès à la vie qu’à l’intérieur de la vie et par elle, s’il est vrai que seule la vie se rapporte à soi, dans l’affectivité de son auto-affection. » • Comment nous apparaît la réalité dans son surgissement originaire ? Depuis les grecs la pensée occidentale s’est construite sur l’affirmation que c’est la conscience qui dévoile, qui nous révèle la réalité. Conscience qui dans un mouvement de transcendance projette dans un « horizon ex- térieur », une réalité ainsi rendue visible dans son extériorité que l’on peut ainsi décrire, nommer objectiver, représenter. Même lorsque la conscience veut se saisir elle-même, cherche à connaître l’homme dans sa réalité profonde et ultime c’est toujours comme objet saisi dans l’extériorité d’une représentation mentale, un « être au monde » privé de la sensibilité première, de l’affectivité qui « l’auto-génère », « l’auto-révèle » et « l’auto-donne » dans et par laVie... Cet « être au monde » que l’on objective est privé de sa phénoménalité originaire qui le phénoménalise... Mais, nous dit Michel Henry, ce que nous voyons, ce que nous nommons n’est pas la réalité ultime de ce qui apparaît ainsi dans un « horizon de lisibilité » ouvert sur une extériorité transcendante. Ce que nous voyons, ce que nous nommons ce ne sont que des objets, des « choses » qui ne révèlent pas la vie qui est en eux et qui seule peut les « auto-générer » et les « auto- révéler » dans leur être. Nous savons bien, s’agissant du langage que « le mot n’est pas la chose », « la carte n’est pas le territoire », « le signifiant n’est pas la signifié ». Nous faisons l’expérience de cette dichotomie entre « parole du monde » et « parole de la vie » lorsque nous dialoguons ou lorsque nous débattons et que derrière tel ou tel mot, tel ou tel concept nous demandons à notre interlocuteur ce qu’il entend par