Pour s’approprier le langage du monde, celui du corps, de l’objectivité, de la science, l’enfant doit faire l’expérience fondatrice du langage de la vie qui parle en lui et l’auto-révèle comme un ego, comme un étant vivant. C’est à travers l’expérience du cogito, du « je pense » que l’enfant, dans la passivité de son moi qui lui est donné par et dans la vie, s’affirme comme un « je peux ». « C’est uniquement parce que nous sommes venus dans la vie que nous pouvons alors venir au monde ». Nous l’avons déjà dit : le logos grec a structuré la pensée occidentale et défini, toute parole comme « parole du monde » ; « monde » posé hors de soi et accessible, dans un mouvement de transcendance, à la seule conscience. La « parole du monde », dans sa dynamique d’objectivation de la réalité saisie comme monde, avec la percée galiléenne et la mathématisation de la géométrie par Descartes, ambitionne d’atteindre à la connaissance universelle, après avoir purgé cette réalité de tout affect de toute sensibilité par nature subjective. Cela a permis à la science un fulgurant développement dont nous voyons aujourd’hui les prolongements technologiques foisonnants qui instrumentalisent l’homme dans sa dimension ontologique réduite à un « être- au- monde ». « Ainsi, de la phénoménalité du monde*, structurée par la mise à distance hors de soi et régie par le voir, Michel Henry découvre à la fois l’opposé et la condition fondamentale : la révélation de la vie, et en tant que vie, structurée par l’auto-affection, rapport à soi sans différence, et régie par le sentir, l’affect. L’ontologie de l’essence de l’être peut donc se réaliser concrètement, dans une ontologie de la vie qui coïncide parfaitement avec une phénoménologie de l’affectivité. Tel est le second grand mérite de la phénoménologie de Michel Henry : avoir montré que la vie, en tant qu’elle est l’auto-affection, l’épreuve sensible que le vivant fait de sa propre existence, est affectivité ; et que l’affectivité, est de ce fait la modalité fondamentale et universelle du rapport à soi originel de la vie. Ce n’est pas parce qu’elle est affectée par les choses ou les événements, de l’extérieur et de façon contingente, que la subjectivité est affective ; l’affectivité, le sentiment, n’est pas un phénomène occasionnel de la conscience ni l’exercice d’une faculté particulière de l’esprit, ni la manifestation d’un secteur limité du psychisme conçu comme « appareil ». Au contraire : c’est parce que la subjectivité est, par essence et dans son exercice effectif comme vie, affectivité, toujours disposée selon une tonalité affective fondamentale, qu’elle peut être affectée, être touchée et modifiée de l’extérieur par le monde.