Il lui revient de formuler le thème de réflexion qui lance la discussion et, pendant l’atelier de philosophie, de se mettre « en retrait », de ne pas infléchir la discussion en donnant son propre point de vue mais d’exercer une fonction d’étayage, pour rappeler le thème, reformuler l’intervention d’un élève, pour le rendre audible... Je décidais donc de prendre le risque « d’oser la parole », avec le parti pris que ces enfants de quartiers difficiles, malmenés par la vie, étaient capables de réfléchir aux problèmes de la vie et de penser le monde. Une autre de mes préoccupations était de faire accéder réellement à la pensée, à la réflexion philosophique. Il me fallait éviter que ces moments hebdomadaires se limit- ent à un énoncé de lieux communs, une suite de propos convenus ou un chapelet de préjugés, véhiculés par les familles, les médias, la rue..., et affirmés sans discernement par les enfants. Refuser aussi toute prise de pouvoir des uns sur les autres, toute volonté de convaincre par tous les moyens, de laisser croire qu’il y aurait une pensée unique, d’un côté des bien-pensants et de l’autre des mauvais pensants... Laisser toute sa place au dialogue interne de l’enfant avec lui-même, et aux échanges avec les autres. C’est ainsi que j’ai pris le parti d’intervenir le moins possible sur le fond, de ne pas tirer de conclusion de l’atelier, pour que la pensée de chacun continue de cheminer au-delà du moment de l’atelier, à son gré. Et d’affirmer que, dans l’atelier, tout peut être dit, tout y est entendu: c’est ce que pense l’enfant à ce moment de sa vie, d’autres pensent dif- féremment, les pensées des uns et des autres évoluent. Les travaux de Michel TOZZI* et de son équipe m’ont aidée à élaborer une grille de lecture qui va éclairer le choix des thèmes de réflexion. Au moment de ma réflexion sur les sujets des ateliers, de la rédaction des questions qui vont ouvrir la discussion, je m’interroge : s’agit-il de demander aux élèves de con- ceptualiser, d’argumenter, et/ou de problématiser? Si la réponse que je peux apporter est positive, je conclus que je tends vers une discussion à sujet philosophique. Une autre grille de lecture des questions soumises aux élèves est possible; elle m’a été inspirée par René Jam et les travaux de Jacques LEVINE. Le sujet évoqué conduit chaque-un à une pensée tournée vers lui, ou la question proposée l’invite à porter un regard sur l’autre, sur les autres, ou le thème appelle l’évocation personnelle, singulière, de la perception et de la compréhension du monde. Le déroulement des ateliers de philosophie s’inspire grandement du protocole LEVINE : l’atelier est hebdomadaire, il dure 10 minutes, les élèves sont assis par terre, en rond,